Lettre #17 - Des fleurs de toutes les couleurs

Le racisme systémique est à la une et à juste titre cette dernière semaine. Les écrans noirs et les #blacklivesmatter se sont multipliés sur les réseaux sociaux, et en réponse les premiers concernés ont interpellé les personnes blanches en général et blanches et privilégiées (comme moi) en particulier sur leurs actes concrets pour plus d'égalité

Personnellement, plus j'avance dans mon projet entrepreneurial et plus je vois à quel point il est indispensable de s'engager pour lutter contre les discriminations, quelles qu'elles soient (genre, race, économique, toutes). Il est important de reconnaître que faire les choses naturellement ne fait que conduire au renforcement du status quo. Il faut avoir un minimum d'honnêteté intellectuelle sur qui l'on est, d'où l'on vient, comment et par qui est composé son réseau, quelles sont ses références personnelles, car c'est bien cela qui déterminera à quoi ressemblera son projet sans effort particulier. C'est exactement ce qui m'est arrivé, et ce qui m'arrive encore avec Fleur d'avocat, et c'est de ça que je vous parle ce soir. 

[Disclaimer : je vais utiliser plein de "" pour des termes dont je ne sais jamais s'ils sont ou pas politiquement corrects, j'espère que ce sera OK pour vous et je vous prie de m'écrire pour me signaler mes bavures le cas échéant : j'ai encore  beaucoup à apprendre] 

Je suis donc blanche, fille de parents médecins. J'ai grandi dans le centre ville de Poitiers, j'ai fait un "bon lycée", puis une hypokhâgne à Paris, une double maîtrise en droits français et espagnol et enfin un M2 en droit de la santé à Paris 1 en partenariat avec AgroParisTech - que des parcours sélectifs, avant de commencer à travailler en cabinet d'avocats d'affaires comme stagiaire puis collaboratrice. Parlons peu, parlons bien, dans tout ce parcours, je n'ai pas été très entourée de personnes non blanches. Mon entourage proche présente plus de mixité socioéconomique que de mixité raciale. Je ne vais pas vous parler de mon "ami•e noir ou arabe", c'est franchement humiliant, et contraire à l'honnêteté intellectuelle dont il s'agit de faire preuve ici. 

Le point c'est : est-ce que je me sens raciste ? Non, je n'ai jamais, consciemment et intentionnellement, refusé de me lier avec quelqu'un du fait de la couleur de sa peau. Mais est-ce que mon entourage est représentatif de la société française ? Non.

Résultat, quand j'ai lancé mon podcast, j'ai fait avec les recommandations issues de... mon cercle social. Mon cercle social qui est donc plutôt blanc et privilégié, comme vous l'avez compris. Résultat : #1 Valérie Colin, recommandée par sa soeur qui a fait Switch comme moi (coaching en reconversion professionnelle à Paris dont la clientèle est majoritairement composée de cadres sup) : blanche.#2 Antoine Delacarte, recommandé par mon amie de Lycée Liza (blanche, ils étaient à Sciences Po Paris ensemble) : blanc. #3 Zoé Pohin, recommandée par mon amie et ex costagiaire en cabinet Emma (asiatique) (elles étaient à l'école d'avocat ensemble) : blanche. #4 Cloé Provost, recommandée par Bérangère (collaboratrice d'un cabinet où j'ai exercé - blanche) : blanche. #5 Arthur Millerand, que j'ai rencontré chez Clifford Chance Paris : blanc. #6 Clarisse Berrebi, recommandée par Noémie, collaboratrice dans son cabinet et une amie du tango : blanche. #7 Vincent Fillola, recommandé par ma soeur qui l'avait interviewé pour une émission sur RFi : blanc. #8 Guillaume Arrighi, recommandé par son amoureuse Caroline (collaboratrice d'un cabinet où j'ai exercé - blanche) : blanc. #9 Margaux Frisque, recommandée par Pamela (collaboratrice d'un cabinet où j'ai exercé - blanche) : blanche  aussi. Il y a aussi eu les deux reconversions : Jessica Septem et Thibaut Labey, tous deux issus du réseau Switch, tous deux (roulements de tambours...) blancs ! 
Cette liste est-elle pénible à lire ? Certainement. Mais le plus pénible reste la monochromie de cette programmation des 10 premières semaines du podcast. L'exemple parfait que sans effort, ces deux mois de programmation ont été à mon image : blancs, et plutôt privilégiés

Au bout de quelques semaines donc, j'ai activement cherché à ce que la "diversité" soit représentée elle aussi. 

C'est mon amie Anahita (franco-iranienne donc "typée") qui m'a mise en relation avec Loïc Padonou, le premier avocat noir du podcast. Par la suite j'ai fait en sorte qu'au moins un invité sur cinq ne soit pas blanc

Il y a eu, heureusement, des recommandations spontanées : Kami Haeri (iranien) ; Karima Lachgar (dont les parents sont marocains) ; Christian Dargham (libanais), mais au début tellement peu que j'espaçais au maximum pour respecter le quota que je m'étais fixée tout en gagnant du temps.

Je me suis aussi retrouvée à plusieurs reprises sans nom. C'est comme ça que j'ai dérogé à la règle de la recommandation et ai contacté Nelly Criquet (noire, de La Réunion). La situation s'est présentée à nouveau. Je parlais de ma difficulté de "recrutement" à ma copine Capucine qui m'a donc présentée à une avocate qui partageait ses bureaux et qui avait exercé à Bobigny (oui parce qu'à Bobigny le barreau est plus "diversifié"). Cette avocate m'a recommandé Magou Soukouna, qui accessoirement nous a tous fait pleurer. 

À partir de là je n'ai plus eu de difficultés de recommandation, et maintenant ça va, mais c'est un équilibre extrêmement fragile que la moindre perturbation de mon planning vient tout foutre en l'air :quand j'ai fait la série d'été avec des avocats double-vie, j'ai relâché mes efforts. Résultat, tous sauf Negar Haeri sont blancs ;la crise du coronavirus a reporté l'interview d'une avocate noire, je n'ai pas fait attention en refaisant toute la programmation, heureusement il y a deux personnes non blanches (Hicham Rassafi et l'invitée dans deux semaines), mais ça m'amène à être en deçà de ma règle de min 1/5Si le moindre relâchement d'effort conduit à ce que la diversité de la programmation soit affectée, c'est que le combat est loin d'être gagné. 

Ensuite [non, cette Lettre n'est pas terminée car il y a beaucoup à dire], se pose un autre problème qui est celui de la diversité dans la diversité. Je m'explique : je ne peux pas n'avoir que des associés de "gros" cabinet hommes et des collaboratrices de "petit" cabinet femmes. Il faut montrer des avocates associées de "gros" cabinets, et des collaborateurs de "petits" cabinets. Et bien c'est pareil dans la "diversité" : je refuse que tous les invités du podcast qui ne sont pas blancs soient issus de milieux défavorisés avec des histoires extraordinaires d'ascenseur social. Je refuse de ne représenter la "diversité" que dans une configuration hors du commun. Peut-être ai-je tort (qu'en pensez-vous ?), mais je ne veux pas être ce genre de média qui verse dans le sensationnalisme

Ça c'était pour le podcast. Maintenant viennent les formations : comme vous le savez si vous me lisez depuis un moment, je suis entrain de passer mes formations au digital et de créer une nouvelle formation sur le développement de clientèle. 

Quelle n'a pas été ma colère de me rendre compte, au bout de plusieurs semaines de travail à contacter des experts pour les différents modules de la formation, que tous mes intervenants étaient des hommes, dont seulement un n'est pas blanc. Moi, la féministe gauchiste qui emmerde le monde et en particulier mes collègues et mes mecs avec ma colère quotidienne face aux inégalités hommes/femmes, j'avais créé une programmation certes faite de personnes dont j'aime le travail et en qui j'ai confiance, mais qui sont toutes des putains d'hommes.

J'ai passé deux jours à me prendre la tête la dessus, et je me suis rendu compte que je consomme principalement des médias business créé par des hommes blancs qui ont fait des écoles de commerce, et qui invitent sur leurs médias respectifs des gens qui leur ressemblent donc (en majorité) des mecs blancs qui ont fait des écoles de commerce. Vous me suivez ? Donc moi, au moment d'aller chercher des personnes compétentes pour vous former sur ces sujets là, et bien je n'ai que des références masculines et en majorité blanches. 

J'étais découragée par ce que j'étais entrain de construire, mais cette fois j'ai décidé de poursuivre avec les intervenants que j'avais prévu*, mais de faire extra attention à l'avenir lorsque je rajouterai des modules à cette formation. Pourquoi ? Parce que je suis un bébé entreprise, que le mieux est l'ennemi du bien, que je ne peux pas m'imposer un niveau de perfectionnisme tel que ça paralyserai la progression de mes projets et donc la rentrée de revenus, et qu'en l'occurence c'était plusieurs jours voire semaines de travail qui allaient partir à la poubelle et je ne peux pas me le permettre. Donc je l'aurai en tête au moment de compléter la formation et de faire intervenir d'autres experts.

Conclusion, j'ai encore de gros progrès à faire. C'est OK. Il faut commencer quelque part. Mais la moindre des choses est d'en être consciente. 

Toute cette histoire, juste à ma toute petite échelle, montre à quel point ce n'est pas possible de faire sans une vigilance spécifique sur les sujets liés à la discrimination. Pour créer une société différente, dans laquelle l'égalité n'est pas qu'un mot sur les mairies, il faut individuellement déconstruire beaucoup de choses, reconstruire en conscience, sortir de son mode de fonctionnement habituel. C'est dur, ça demande plus de travail, mais le jeu en vaut la chandelle

Je vous souhaite un bon weekend (dans les parcs !),

Lilas Louise

*J'ai depuis intégré une femme dans la programmation, sur un sujet de la plus haute importance qui est celui de l'argent, de la détermination de ses honoraires et de la négociation en début puis en cours de relation.

P-S : toutes les lettres sont rangées ici

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