Le positionnement : le noeud du problème

Comme vous le savez peut-être, jadis, alors que je portais la robe, j'étais spécialisée en droit de la santé, et plus particulièrement en droit pharmaceutique. Je veux donc vous parler de comment j'en suis arrivée à faire du droit règlementaire applicable aux produits de santé et de la responsabilité du fait des produits défectueux pour des laboratoires pharmaceutiques alors que ce qui m'a attirée vers le droit de la santé n'était pas ça.

C'est difficile à dater précisément, mais je dirais qu'entre mes 15/16 ans et mes 22/23 ans, j'étais  obsédée par les sujets touchant à la liberté et plus particulièrement à la disponibilité du corps humain : la liberté sexuelle incluant la contraception et l'avortement ainsi que la prostitution, la liberté de mourir donc euthanasie, suicide assisté et suicide tout court, l'usage de drogues, l'usus, fructus et abusus [pour parler comme Cédric Dubucq] d'éléments du corps humain donc don et vente de ses propres organes, et autres joyeuseries.

Je lisais Sur la route de Jack Kerouac, La vie sexuelle de Catherine M. de Catherine Millet, La dernière Leçon de Noëlle Chatelet et Le corps et l'argent de Ruwen Ogien [un sociologue et philosophe libertaire qui a développé la théorie de l'éthique minimale - pour reprendre Wikipedia : une éthique qui exclut les devoirs moraux envers soi-même et les devoirs positifs paternalistes à l'égard des autres, en se limitant au seul principe de ne pas nuire aux autres].

J'allais au Cinéma du Théâtre et au Dietrich, les salles de cinéma "Art et essai" de Poitiers, pleurer toutes les larmes de mon corps devant Mar adentroXXY et Control.

J'étais cette lycéenne qui passe tout un weekend sur une dissertation optionnelle en philo sur une histoire d'euthanasie.

Bref, j'étais une meuf fun.

[En version hippie option piercing au labret]

Je rigole mais c'étaient vraiment des questions auxquelles je tenais et je réfléchissais beaucoup, et qui ont ensuite été mises à l'épreuve de la réalité avec le suicide de mon frère. Je me souviens que peu après sa mort, nous discutions avec mon amie et colocataire Juliette dans le bus en rentrant de la fac à Madrid, entre Cuatro Caminos et Estrecho [quelles flemmasses]. Bref Juliette me disait que c'était injuste, que sa mort était injuste, et je me souviens lui avoir répondu un truc du genre que la justice n'avait rien à voir là-dedans. Que c'était juste sa décision [je casse l'ambiance de Pâques là, sorry].

Nous étions donc en 2e année du programme, qui est aussi l'année du cours de bioéthique. Et même si notre prof était un vieil homme à moitié sénile, j'ai eu un véritable coup de cœur pour cette matière à la croisée des chemins entre le droit et la philosophie morale sur la question de la disponibilité du corps humain et de ses éléments.

Je ne sais plus comment [lui en avais-je parlé ?] mais le prof de droit administratif [passion droit administratif], Alfonso de son petit nom, qui avait une pratique autour des sujets de santé également, avait su que cela m'intéressait et il m'avait invitée à un séminaire sur la procréation GPA/PMA/avortement... sauf que c'était un évènement organisé par une organisation catholique conservatrice donc j'avais passé le séminaire à bouillonner sur ma chaise [mais c'est important d'être exposé à une autre vision du monde].

Ensuite j'avais demandé à Alfonso, s'il pouvait m'aider à trouver un stage en me disant où postuler, et il m'avait rencardée avec un certain Juan, français et espagnol exerçant en Espagne depuis maintenant belle lurette et associé d'un joli cabinet avec une pratique partagée entre le droit des affaires franco-espagnoles et le droit pharmaceutique.

[Je tiens à dire que l'argument qui semble avoir été déterminant lors de l'entretien - outre le fait que je venais bien recommandée- n'avait rien à voir avec la double maîtrise ou mon quelconque intérêt pour le droit de la santé : il se trouve que je suis originaire de Poitiers et que c'était également le cas de ses nobles ancêtres français.].

De ce stage, j'ai plus de souvenirs de consultations en droit comparé par exemple sur le régime de la franchise [peut-être était-ce du fait d'un de ses associés me disant que la seule chose à retenir était que "la franquicia es - una - mierda", ce qui se passe de traduction], de la part de tortilla au bar en bas du cabinet à 11h et de la siesta en début d'après-midi que de pratique du droit pharmaceutique.

Reste que le droit pharmaceutique fût le premier élément de ma cartographie de ce que recouvre le droit de la santé d'un point de vue pratique en cabinet d'avocats. 

Si ma mémoire est correcte, j'ai assez rapidement délaissé la perspective de faire du droit international pour aller vers le droit de la santé [transition achevée avec le cours de droit international public en 3e année à la Sorbonne, où j'ai clairement compris que le droit était manipulé en fonction des objectifs politiques et non le contraire, réduisant en cendres tous mes tendres idéaux d'un monde meilleur].

Et là, comme tout étudiant soucieux de bien faire en vue de la sélection en Master 2 [ces mêmes masters pour lesquels tout le corps universitaire nous fait comprendre que c'est la guerre], je me suis mise dans l'optique d'avoir un bon dossier, c'est à dire un dossier avec des bonnes notes et des stages dans le domaine de la santé.

Vous voyez comme déjà le positionnement [on en revient toujours aux fondamentaux] n'est plus le même et c'est bien le nœud du problème, mais je poursuivrai dans un prochain article.

En attendant, je vous invite à deviner pourquoi cette série de lettres m'est inspirée de mon échange avec Benjamin Pitcho en écoutant sa touchante interview.



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