Être avocat n'est pas une fin. C'est un moyen.

Je prends la plume contre la pensée qui veut que hors de la profession d'avocat point de salut.

J'ai eu ces derniers jours, complètement par hasard, plusieurs échanges avec des avocats ayant quitté la profession, envisageant de la quitter ou sur le point de la quitter. Dans presque tous ces échanges, je sens en creux ou en relief un a priori de nivellement par le bas en s'omettant, de leur part ou de celle de leur entourage à commencer par leurs confrères.

D'un point de vue individuel, ce départ en demi-teinte m'attriste. Il m'attriste car il signifie que ces avocats quittent la profession par dépit, parce qu'ils n'ont pas réussi à s'y épanouir alors qu'ils auraient aimé rester avocat, ou bien qu'ils partent pour une opportunité intéressante mais sans arriver à s'en réjouir. D'un point de vue collectif, je trouve cela fou que cette toute petite profession qui ne concerne que 70 000 personnes arrive à donner l'impression à ses membres qu'à l'extérieur le travail sera forcément moins intéressant, moins ambitieux, moins intense, moins exigeant, bref moins quelque chose*.

La profession d'avocat est une belle profession, chargée de sens pour celles et ceux qui sont épris du sens de la défense, intellectuellement stimulante pour qui aime le droit, offrant plein de possibilités et d'opportunités de par sa pluriformité.

Mais non, la profession d'avocat n'est pas la seule dans laquelle on peut faire des choses ambitieuses et exigeantes. Le monde est vaste dehors. Vous n'imaginez pas (et moi non plus d'ailleurs), tous les métiers qu'on peut faire et dans lesquels on peut aussi prendre beaucoup de plaisir, être challengé, évoluer, progresser, gagner en expertise ou en responsabilités, bref : avoir une carrière chouette**.

De l'a priori du moins vers la surprise du plus, c'est exactement ce que mon amie C. a partagé avec moi. C. intervenait plus particulièrement en protection des données personnelles et a quitté la profession d'avocat après 3 années d'exercice dont les modalités et le rythme ne l'épanouissaient pas pleinement, au point d'avoir des impacts sur sa santé. En la quittant, elle pensait faire au mieux quitte à perdre un peu en plaisir intellectuel. Elle a rejoint un cabinet de conseil en transformation digitale dans lequel elle s'épanouit à travers un panel de missions extrêmement varié lui offrant la possibilité de développer ses compétences de façon bien plus riche et diversifiée que lorsqu'elle était avocate. Elle qui est aujourd'hui en CDI se sent ô combien plus libre dans l'exercice de son métier que lorsqu'elle était libérale***. Elle me dit "se déployer", et je trouve que c'est un bien joli verbe que je souhaite à chacun d'expérimenter dans sa vie professionnelle.

Est-ce que C. aurait pu s'épanouir dans la profession d'avocat, dans un autre cabinet par exemple ? Peut-être. Il n'empêche que parmi les différentes opportunités qui se sont présentées, celle-là présentait un attrait certain et après un saut dans l'inconnu, son périmètre d'activités dépasse aujourd'hui largement l'expertise technique même de la protection des données personnelles, en l'entraînant dans une véritable aventure entrepreneuriale et humaine, ce qui la ravit.

Puis j'ai discuté avec M., une cliente qui est bien dans son cabinet, qui a d'excellentes relations avec son équipe et adore sa matière de spécialité. M. m'a dit qu'elle avait découvert le poste de contract manager et qu'elle a très envie de faire ça, dans ou en dehors de la profession, et même de préférence en dehors pour voir un peu comment ça se passe ailleurs, quitte à revenir plus tard forte de cette pratique. Et bien sûr j'ai dit : mais oui, bien sûr, fonce !

Parce qu'être avocat n'est pas une fin en soi. C'est un moyen de faire ce qu'on aime faire****.

Vous n'avez pas fait 5, 6, 7 ans d'études supérieures pour être étriqué dans votre robe. Cette chance d'avoir fait des études supérieures, c'est d'abord celle d'avoir un passeport de bonne qualité (reconnu dans le plus de pays possibles) qui vous permet de circuler librement dans le monde professionnel. Et exercer la profession d'avocat devrait être comme un joli tampon dans votre passeport : une expérience enrichissante et un bon souvenir.

D'ailleurs je ne pense pas que les Institutions représentatives de la profession, à commencer par les ordres et le CNB, devraient lutter contre les départs de la profession. Je pense qu'ils devraient se battre pour que la profession d'avocat soit accueillante (et vu le nombre de messages d'étudiants ou d'élèves-avocats qui sont dégoutés ou découragés avant même d'avoir prêté serment que je reçois, ce n'est pas gagné), épanouissante et valorisante. Pas pour éviter les départs, mais pour que celles et ceux qui partent ne le fassent pas contre l'avocature mais bien pour quelque chose d'autre. Pour qu'ils partent en disant du bien de leur expérience professionnelle d'avocat et non en relatant qu'ils n'avaient pas de vie et qu'ils travaillaient avec des fous qui fonctionnent "à l'ancienne". Pour que la ligne "avocat" soit une bonne ligne sur un CV, qu'on ait envie de recruter un avocat au sein de son entreprise (et pas que pour un poste de juriste). En clair, je pense que les instances représentatives de la profession devraient travailler sur leur marque employeur, non pas pour retenir les avocats en son sein mais bien pour rayonner à travers leur mobilité professionnelle, et peut-être à l'avenir bénéficier de cette mobilité (oui, en bénéficier à l'avenir car qui a dit qu'il s'agissait de partir sans retour***** ?).

Et puis tout ce bruit qu'on fait autour des départs de la profession... Je compare avec mes amis qui ne sont pas avocats, et la plupart ont déjà eu deux ou trois postes différents sans que cela ne devienne toute une histoire dramatique. Par exemple A., juriste en droit public des affaires de formation, qui a commencé sa carrière dans un organisme de formation continue, où elle a évolué plusieurs fois en interne avec des missions différentes, et qui rejoint aujourd'hui une multinationale du secteur des télécommunications pour un poste à cheval sur de la RSE et des affaires publiques, ou encore R. qui est passé du développement web au conseil en stratégie avant d'évoluer comme product manager.

La profession d'avocat a ceci de particulier qu'elle est marquée par une cérémonie d'entrée solennelle (la prestation de serment), et une sortie formelle (la décision d'omission), jalons qui n'aident pas à des transitions fluides du dehors au dedans et vice versa. Mais les départs de cette profession sont aussi complètement en ligne avec la société actuelle et les attentes des actifs, notamment des jeunes actifs, quant à leur parcours professionnel. Est-ce qu'il y a des choses qui ne vont pas dans cette profession ? oui. Mais est-ce que la profession d'avocat est un cas isolé ? non. Et est-ce que les départs sont uniquement liés aux dysfonctionnements ? non plus.

Il est donc temps de voir plus loin que le bout de sa bavette, et c'est tout le bien que je vous souhaite. Choisissez la robe, ne la subissez pas. Quel que soit votre statut : épanouissez-vous. Comme mon amie C. : déployez-vous.

Lilas Louise

*C'est d'ailleurs probablement une raison de plus pour laquelle les avocats acceptent des conditions de travail déplorables : parce qu'ils préfèrent rester avocat coûte que coûte plutôt que de s'aventurer en dehors de la robe, ce qui serait vu comme un échec.

**Ce dont on a notamment parlé avec Paola de Vienne, qui était avocate et fait maintenant du recrutement, et si je me souviens bien avec Charles Haroche également.

***Ce qui est d'ailleurs ressorti de nombreux témoignages des avocats collaborateurs devenus juristes en entreprise qui étaient présent à la soirée "Départ de la profession" organisée en octobre dernier par le Barreau de Paris.

****Conclusion qui ressort très bien de nombreuses interviews du podcast, et notamment de celles d'Artur Millerand, de William O'Rorke ou encore de Sandra Azria.

*****À ce propos je vous invite à me recommander des avocats épanouis ayant fait un ou plusieurs allers et retours dans la profession pour le podcast, il me tarde de partager aussi de tels parcours !

Photo : Suspension Mobile Chandelier 13, Michael Anastassiades, vu sur AD magazine

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