Le job to be done : notion clé de votre positionnement.

Il est difficile d'être obstétricien•e et de ne pas aimer faire des échographies.

Ou cuisinier ou cuisinière tout en souhaitant être chez soi à l'heure des repas.

Ce n'est pas tellement une question de marge de négociation.

Enfin un peu quand même. Reconnaissons que si vous êtes Ferran Adrià, le muy famoso chef à la tête du restaurant El Bulli qui compte 1 000 000 de demandes de réservation par an pour seulement 8 000 couverts, on peut imaginer que vous pouvez faire le caprice de ne servir qu'entre 15 et 17 heures [même si c'est peu probable car c'est l'heure de la siesta, faut pas déconner].

Mais hors cas exceptionnels comme celui-ci, si vous êtes cuisinier ou cuisinière, vos clients vous sollicitent au moment où ils veulent déjeuner ou dîner, ce qui correspond en moyenne à l'heure des repas.

Et la médecine obstétrique implique de faire des échographies.

C'est intrinsèque au Job to be done.

Je vous ai déjà parlé de la notion en marketing de Job to be done mais c'est une notion tellement éclairante que vous en reprendrez bien une louchette.

Le Job to be done, c'est le service qui doit être réalisé pour obtenir le résultat attendu par un client.

Un client n'achète pas une perceuse et un forêt de 10 mm, il achète un trou de 10 mm.

Et c'est difficile d'être une perceuse si on n'a pas envie de percer des trous et de respirer de la poussière.

Je vous dis ça parce que ces dernières semaines, je vous ai parlé du pouvoir de négociation et des limites de ce dernier.

Un bref échange avec une élève-avocate de l'EFB ce matin m'a fait réfléchir à la distinction entre le pouvoir de négociation et le Job to be done.

Cette élève-avocate m'explique que les clients des avocats sont dans un rapport de domination avec leurs avocats, et que cette dynamique de domination fait qu'ils imposent des conditions de travail pas possibles à ces derniers, et par ruissellement à leurs équipes.

Elle me dit que ses patrons lui disent qu'avant ce n'était pas comme ça, mais que maintenant les clients sont volatiles, que si on n'est pas dispo dans la seconde on perd le client, et qu'on se retrouve donc à travailler à des horaires pas possibles et les weekends pour satisfaire le client dominant.

Comme je pense que cette histoire de disponibilité extrême à tout moment est une croyance, je creuse le sujet.

Elle m'explique donc qu'elle évolue auprès d'avocats de gros cabinets, dans la structuration de grands projets du type énergie dans un pays d'Afrique, le genre de pratique où il y a beaucoup de négo, on close des deals en présence de nombreuses parties prenantes.

Elle me donne l'exemple d'un weekend ou il a fallu bosser comme des dingues parce que le client mettait la pression pour closer un truc, dans un projet de ce type [infrastructures, énergie, l'Etat voire plusieurs Etats sont dans la boucle, bref, gros truc], et qu'à ce moment là ils n'avaient pas de pouvoir de négociation envers leur client.

Je lui dis qu'au contraire, c'est le moment où le pouvoir de négociation envers leur client est à son max. Fin de dossier, dernière ligne droite, l'équipe a tout l'historique du dossier, toute la documentation, toute la connaissance suite à des semaines voire des mois de travail et de négociations. À ce moment-là, alors qu'il faut signer après-demain et en plein weekend, le client est plus dépendant que jamais du cabinet avec lequel il travaille, c'est très dur de se rabattre sur un autre avocat, une autre équipe.

Donc non, là le pouvoir de négo est au top.

En revanche, c'est certain que mettre un gros stop à son client à ce moment-là, en mode "non attendez mon poulet a presque fini de rôtir je dois encore l'arroser de son jus une dernière fois pour assurer un doré et un croustillant parfait, après nous déjeunons puis ce sera l'heure de la sieste, bref vous comprenez je vis ma meilleure vie de français•e un dimanche, reparlons de votre closing avec [co-contractant sur un deal à plusieurs millions ou milliards] demain matin si vous le voulez bien", c'est complicado.

Aussi complicado que s'il faut faire une césarienne là maintenant tout de suite et que l'obstétricien vous dit que d'accord mais après l'Amour est dans le pré qui est sur le point de commencer.

Et vous voyez bien que ce n'est pas juste parce que vous êtes dominé par votre patient sans aucun pouvoir de négociation, c'est une question de faire le taff que vous avez choisi de faire, avec ses caractéristiques intrinsèques.

Vous n'êtes pas obligé•e d'être obstétricien•ne, ni d'accompagner Total sur des gros deals d'exploitation pétrolière au large d'un pays lointain, ni à sortir des personnes de prison. Ni à [n'importe quel Job to be done].

Mais si vous choisissez un métier, vous en choisissez aussi certaines réalités incompressibles.

Vous pourrez faire plein de choses pour augmenter votre pouvoir de négociation en limitant votre substituabilité et en augmentant le désir de travailler avec vous, personnellement.

Faire en sorte que Total ait plus envie de vous confier le deal à vous qu'à votre concurrent, quitte à vous payer plus cher, à supporter que vous soyez en télétravail une bonne partie du temps ou que vous ne répondiez pas dans la seconde à son mail qui vous saisit du projet.

Mais accepter ce dossier en 2021, dans un monde où les deals sont internationaux et où tout va très vite, c'est accepter que peut-être que les négociations s'accélèreront subitement, qu'il y aura un retournement de situation de dernière minute qui obligera à reprendre une négociation à l'heure du poulet rôti et à modifier les documents à l'heure de la sieste.

Ce n'est pas une histoire de domination. C'est une histoire de Job to be done.

Choisir un métier, c'est choisir qui on a envie d'accompagner, dans quelles galères, et donc avec quelles contraintes incompressibles.

Attention, plein de contraintes sont acquises comme incompressibles faute d'avoir repensé le modèle. Ne prenez pas pour argent comptant toutes les croyances limitantes qu'on vous sert sur un plateau. Il y a peut-être une autre manière de faire qui vous permet de gagner en confort d'exercice et c'est sain de questionner les choses.


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