Se poser les bonnes questions - une leçon philosophique pour les entrepreneurs

Avez-vous des expériences dont vous avez tiré clairement la leçon ? Dont vous avez réussi à formuler l'essence de ce qu'il y a à retenir ?

Moi oui. Aujourd'hui je vais vous parler de l'une de ces leçons.

Il y a fort longtemps, alors que j'étais en hypokhâgne, j'ai eu pour sujet de colle* : "L'art n'est-il que vanité". 

Je me souviens que le sujet m'a plu. Je n'imaginais pas ce qui m'attendait, c'est à dire une prise de tête comme jamais.

Vous vous souvenez peut-être qu'en lettres et en philo, il était question de plans en 3 parties. Il fallait une thèse, une antithèse, et une synthèse.

Me voilà donc plongée dans mes recherches sur l'art et la philosophie de l'art et la vanité, me réjouissant de la quantité de matière sur le sujet (j'ai toujours aimé accumuler les références et les sources et lire des milliards de trucs sur mes sujets, ce qui clairement n'est pas du côté de l'efficacité mais passons).

Me voilà surtout complètement noyée sous la vanité. Tout était vanité. Je ne voyais que vanité. Vanité de l'artiste qui cherche à laisser une trace, à marquer son temps, à créer une oeuvre qui lui survit. Vanité de l'artiste ou du commanditaire qui veut immortaliser un moment par essence ineffable. Vanité du caractère éphémère de l'oeuvre dans les arts vivants (la danse, le théâtre). Vanité de moi qui m'échevelais sur ce sujet. Vanité vanité vanité vanité vanité.

La vanité moisissais donc toute forme d'art sur laquelle je me penchais, ainsi que mon plan. J'étais cantonnée à la  thèse : l'art n'est que vanité. Aucun espoir d'antithèse (l'art n'est pas que vanité) et encore moins de synthèse (un truc brillant évidemment mais que je n'ai pas réussi à trouver).

Je me souviens avoir passé un temps dingue sur cette recherche (ce qui est ironique vu le sujet). Je me revois passer le weekend précédant mon oral par terre dans le salon de mes parents, avec mes feuilles et mes bouquins étalés partout par terre et sur la table basse devant la cheminée, à chercher une porte de sortie. Je me souviens de l'intuition que la danse était la solution, m'être rendue à la bibliothèque du Centre Pompidou pour creuser sur la philosophie de la danse et du mouvement et ne finalement rien trouver pour soutenir mon délire. Prise de tête je vous dis.

J'ai donc fini par pondre un truc tarabiscoté comme jamais, probablement une nuit blanche (je n'ai jamais été une étudiante très organisée) avant l'oral. Y croyais-je à mon histoire de danse ? M'étais-je convaincue que ça tenait debout ?

Le fait est que ma prof, la philosophe Seloua Luste Boulbina, n'y a pas cru une seule seconde. À la fin de l'oral, elle m'a donc interrogée sur ce qui clochait dans mon travail, et j'ai fini par cracher le morceau : je n'avais pas réussi à trouver de quoi soutenir une antithèse et encore moins à proposer une synthèse.

Vous sentez venir la leçon ? (Parce que non, vous n'avez pas lu tout ceci pour rien)

Ma prof m'a donc expliqué que si quel que soit le chemin emprunté je butais sur l'aspect contaminant de la vanité, c'est que tout l'intérêt du problème était dans cet aspect contaminant. La bonne question n'était donc pas "l'art n'est-il que vanité ?".

J'aimerais avoir enregistré sa correction et ses explications. J'aimerais pouvoir retranscrire ses propos exacts. J'imagine que la bonne question était plus "La vanité contamine t-elle son objet ?". Mais je ne m'en souviens pas et peu importe finalement.

La vraie leçon est la suivante : là où il y a blocage, il faut creuser. Et il faut vraiment le faire parce que c'est dans la résolution de ce blocage que se trouve le nectar qui aura le plus de valeur ajoutée

Vous allez peut-être penser que je suis perchée, mais je crois sincèrement que mes meilleurs travaux par la suite ont été ceux pour lesquels j'ai réussi à faire ça : identifier le truc qui gratte et dont je n'arrive pas à me défaire, et ne pas le lâcher. Je souris en écrivant ces lignes car je crois que c'est aussi comme ça que fait le commissaire Adamsberg pour résoudre ses enquêtes***.

Je pense d'ailleurs que c'est un peu comme ça qu'est né Fleur d'avocat le podcast : en constatant que je ne connaissais pas d'avocat épanoui et que tous les avocats autour de moi râlaient. Et que si les raisons de la galère étaient largement explorées (les avocats ne sont pas formés au management, le contrat de collaboration libérale, etc.), je n'avais pas connaissance de la question inverse : il y a-t-il des avocats épanouis ? Qu'est ce qui fait qu'on s'épanouit dans la profession d'avocat ?

La suite vous la connaissez.

J'ai parlé de cette histoire avec mon coach, et il a reformulé la  leçon d'une façon plus englobante : il faut poser la bonne question, quitte à reformuler ; quitte à déplacer le sujet. Jolie ironie du sort pour l'intervieweuse que je suis devenue. 

Et vous, sur quoi butez-vous en ce moment ? Comment reformuler ?

*oral
**Vanité, Philippe de Champaigne
***les lecteurs de Fred Vargas savent. Et si vous n'êtes pas encore lecteur, c'est le moment de commencer. De préférence dans l'ordre chronologique. Si si. 

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