En tant que coach d'individus, je propose de s'adapter aux organisations, oui.
Mais pas toujours.
Et surtout, sans exclure le besoin de les faire évoluer dans une perspective collective.

 S'adapter

J'ai l'impression que le discours majoritaire actuel est de lire la notion d'adaptation dans le monde professionnel sous le prisme négatif de l'adaptation à des environnements toxiques qui broient les individus, ou de façon plus globale comme l'étouffement de "l'authenticité" des individus.

Chacun veut faire les choses selon sa propre loi. Fonctionner selon sa façon, ses normes, sa culture, ses valeurs. C'est le kiffe de l'indépendance, d'où cette joie des avocats qui s'installent à leur compte, créent leur cabinet, deviennent leur propre chef•fe.

C'est bien naturel, c'est tellement plus confortable !

Cela dit, c'est presque oublier que s'adapter, c'est aussi rencontrer, apprendre, grandir, élargir son univers.

Entre son confort et l'altérité, chacun place son curseur en fonction de son ouverture et de son pouvoir de négociation. C'est facile de s'adapter parce qu'on le souhaite, et non parce qu'on y est contraint. Reste que la capacité d'adaptation est une promesse d'horizons plus vastes.

Prenons l'exemple du voyage.

Il y a ceux qui voyagent dans des contrées lointaines et sont adeptes du Club Med. Le dépaysement, le choc culturel en moins.

D'autres envisagent difficilement de voyager sans aller au plus près d'une expérience "locale". Dormir chez l'habitant, dénicher les bouis bouis les plus locaux possibles pour les repas, s'extraire au maximum des circuits touristiques.

Je ne suis ni une meuf Club Med, ni du genre à m'aventurer dans une dégustation de sauterelles grillées ou de crocodile [je suis trop chiante sur la bouffe].

J'ai quand même envie de faire l'éloge de la capacité d'adaptation qui est ce qui fait qu'on apprend une autre langue, qu'on peut naviguer dans plusieurs milieux sociaux, qu'on diversifie ses compétences. Et donc qu'on peut faire plus de choses, avec plus de personnes, et être plus créatif.

On ne dit pas assez à quel point chaque environnement professionnel est comme un nouveau pays dont la culture nous est plus ou moins familière.

Alors oui, savoir s'adapter est une bonne chose pour pouvoir tirer parti de ce qu'un milieu donné a à vous offrir.

C'est une compétence à part entière, car lorsqu'on sait s'adapter, cette adaptation est moins rugueuse, elle s'accompagne de moins de résistances, d'incompréhensions, de crispations.

C'est tellement plus simple quand on a les codes.Parfois, il suffit d'apprendre les grandes lignes des codes d'un milieu pour s'y épanouir.

Quelques cours d'espagnol rendront vos premiers jours en pays hispanophone plus simples parce que vous pourrez baragouiner quelques basiques, vous faire comprendre et comprendre l'autre un minimum et ainsi enclencher un processus vertueux d'apprentissage de la langue et de la culture.

C'est pareil avec la vie professionnelle, il y a des trucs à savoir pour que ça se passe bien. C'est comme ça.

Je vous souhaite de ne jamais être bloqué•e dans un projet qui vous tient à cœur par incapacité à vous adapter.

• Ne pas s'adapter

Si vous adapter ne sert pas votre projet personnel et que vous pouvez faire autrement ailleurs, alors ce n'est pas très grave.

C'est OK de refuser de s'adapter tant qu'on est OK avec ce à quoi on renonce.

C'était mon cas dans ma dernière collaboration : compte-tenu de la situation, m'adapter aurait signifié devenir une professionnelle que je n'avais pas envie de devenir [une avocate qui duplique des conclusions type], j'avais le choix de faire différemment, et j'étais OK avec le fait de renoncer à faire partie de l'équipe en défense dans la première action de groupe santé, donc.

• Faire évoluer les organisations

Vous pouvez vous adapter au niveau individuel et agir par ailleurs pour changer les choses à un niveau plus macro.

Les forces ne sont pas les mêmes, les leviers sont différents. C'est le cas pour toutes les luttes politiques menées par des groupes qui ne détiennent pas le pouvoir.

Exemple :

Être une caissière investie dans le mouvement des gilets jaunes
ET 
s'adapter à des conditions de travail misérable dans un hypermarché loin de tout.

Être une avocate féministe engagée [par exemple, une colleuse]
ET
faire la nunuche face à un macho de temps en temps parce que disons-le, c'est parfois plus simple d'arriver à ses fins en le laissant penser qu'on est cruche plutôt qu'en montrant l'étendue de son intelligence et en étant assertive.

C'est juste une question de pragmatisme.

On ne peut pas se battre partout, tout le temps. Dans certains environnement c'est juste stérile. L'énergie nécessaire au changement y serait juste mal utilisée. Comme chauffer un logement en laissant les fenêtres grandes ouvertes : la facture coûte cher, et vous avez toujours aussi froid.

Donc on revient toujours à LA question : quel est votre pouvoir de négociation dans un environnement donné ?

Si le pouvoir de négociation n'est pas de votre côté, alors je vous invite à vous adapter et à établir une stratégie pour gagner en pouvoir de négociation.

Si le pouvoir de négociation est de votre côté, alors je vous invite à l'utiliser pour vous, et aussi pour faire advenir les changements organisationnels qui vous tiennent à cœur.

Cela me fait penser aux propos de Lauren Bastide au micro de Siham Jibril dans Génération XX (#99) :

SJ : À propos de cette question des privilèges, est-ce que tu as l'impression qu'il faut s'en excuser ?
LB : Pas du tout, c'est une démarche tellement stérile.  [...] surtout réaliser que ça nous donne une forme de responsabilité. [...] J'ai une forme de responsabilité. J'ai la chance d'avoir un profil, une identité qui me permet d'être admise, entendue dans certains cercles, dans certains milieux. Autant que j'utilise ce passe-partout que j'ai pour dire des choses qui font sens et qui font évoluer les choses.