Feedback : le pouvoir du regard qualifié sur le travail solitaire

Je voudrais rebondir sur la punchline que j'ai choisie pour l'interview d'Anne-Sophie Arbellot de Rouffignac : "Se nourrir du regard des autres, ça c'est efficace". Je vais commencer, à mon habitude, par une digression.

J'ai passé deux semaines dans un tunnel de préparation de l'audit qualité qui permettra, si tout se passe bien, aux formations Fleur d'avocat d'être financées par le FIFPL. Pour préparer cet audit qualité, il m'a fallu mettre à plat ma façon de travailler, la documenter, en faire des procédures dans des documents établis.

Je ne suis pas la reine de l'organisation. Je ne travaille pas du tout n'importe comment, mais je dois reconnaître que les procédures et les tableaux Excel, ce n'est pas mon truc. Et je suis un peu bordélique, et aussi je déteste accumuler la documentation donc j'ai plutôt tendance à supprimer ce qui n'est plus d'actualité. Donc les emails avec les clients, les prestataires, les anciennes versions des documents, etc. Autant de preuves qui valent de l'or le jour d'un audit et qui partent dans les corbeilles de mon ordinateur et de ma boite email, corbeilles que je vide évidemment parce que pollution numérique.

Il se trouve qu'il avait été convenu lors de mes premiers échanges avec l'organisme certificateur que l'audit ne porterait que sur les formations dans leur nouveau format "blended" (e-learning + codéveloppement + coaching individuel), et en fait ils ont aussi voulu auditer mon travail d'avant, depuis le tout début. SURPRIIIIIISE.

Vous êtes soumis à ce genre de changements en permanence donc vous comprendrez le gros coup de chaud que je me suis pris parce que du coup je n'avais rien préparé sur le passé.

Et en plus de mon problème de documentation [le bordel et la corbeille facile susmentionnés], cette première année j'ai travaillé de façon très naïve et intuitive. J'ai donc franchement craint de passer pour une petite rigolote pas du tout process qualité compatible aux yeux des auditeurs.

Me voilà donc rassemblant toute ma force de conviction pour raconter l'histoire de Fleur d'avocat et des formations. Comment je les ai imaginées, conçues, organisées. Où, quand, comment. Et comment j'ai fait évoluer le fond et la forme au fur et à mesure des sessions et des retours des clients et des aléas socio-économiques. Le tout en improvisant une recherche documentaire sur le tas entre les archives de mes emails, le back office de mon site internet et mes comptes sur les différents services que j'utilise pour essayer de documenter mon propos.

Et en fait il s'est passé un truc auquel je ne m'attendais pas du tout : ils ont été impressionnés. Par ma façon de travailler et la manière dont j'ai construit les formations sachant que je suis autodidacte du truc. Par ma faculté d'adaptation et l'agilité dont j'ai fait preuve pendant cette première année. Par la richesse de ma documentation personnelle (tout ce que je lis et écoute), du contenu que je mets dans mes formations, et la quantité de ma propre formation continue. Le tout en étant quand même toute seule. Je vous assure que c'est ce dont ils m'ont fait part et que ces fleurs ne sont pas sorties de mon chapeau.

Je m'attendais à ce que le passage de cette certification soit une étape [pénible mais] enrichissante parce que structurante. Il se passe plein de chose dans ma tête certes mais c'est pas mal de leur donner corps et les procédures servent à cela. En revanche, je n'avais pas du tout pensé au fait que c'était aussi l'occasion de montrer mon travail à des professionnels de la formation continue, et donc d'avoir un... feedback !

Quand on travaille seul, que l'on n'a plus de patron qui corrige son travail, les occasions d'avoir du feedback se font plus rares. Il y a bien sur le feedback du client. Il est important et crucial. Mais souvent son client n'est pas un pair, son retour va porter sur son expérience, sur l'atteinte de son objectif, sur sa satisfaction, mais ce n'est pas un regard qualifié sur le fond et la forme de ce que vous faites. D'ailleurs vous pouvez avoir fait du très bon travail au regard de vos pairs et avoir un retour désastreux de votre client qui n'est pas satisfait de la décision et pense que c'est parce que vous avez été mauvais, alors que son dossier était pourri ou bien que le magistrat a décidé de faire une application disons créative de la règle de droit. Et vice versa, il est possible d'avoir un client très satisfait qui pense que vous êtes le meilleur alors qu'un pair estimerait que vous auriez pu faire bien mieux.

Donc le feedback des pairs a, il me semble, une saveur particulière parce que votre confrère sait [bien évidemment, n'écoutez pas le feedback sur le fond d'un confrère qui n'y connait rien à votre matière]. Il sait apprécier la complexité d'une situation, la technicité d'une matière, les subtilités d'une réflexion, la finesse dans l'articulation d'une démonstration, l'obstination dont il faut faire preuve pour monter un certain type de dossier. Et c'est pour ça que ce feedback est si précieux pour prendre et garder confiance en son travail. Plusieurs invités du podcast ont évoqué à quel point les échanges avec leurs pairs les aidaient ou les avaient aidé. Je pense donc à Anne-Sophie, et aussi à Safya AkorriPhilippe Lebauvy, ou encore à Pierre François Rousseau.

Pourtant c'est dur de montrer son travail, et encore plus à des pairs. Je pense à l'un d'entre vous [coucou Maxime], qui a repris les bancs de l'université pour passer un DU. Il partageait avec moi son appréhension à l'idée de soutenir son mémoire devant ses confrères, et ce malgré ses nombreuses années de barre. Et si je n'étais pas à la hauteur ?

Je me suis mangé deux non conformités mineures [heureusement j'y aurai remédié sous 48 heures et cela ne devrait donc pas être un point bloquant pour l'obtention de la certification]. La première de la classe qui sommeille en moi était particulièrement vexée [et grognon toute la soirée].

Malgré cela, avoir été auditée par surprise sur ce que j'ai fait jusqu'à maintenant s'est révélé être plutôt valorisant et rassurant. Je vous souhaite donc de confronter votre travail à des regards critiques, et de récolter des retours qui vous permettront de valoriser ce que vous ne voyez pas, ou plus. Et je vous invite aussi à faire des retours à vos confrères. Nourrissez-vous de leur regard. Nourrissez-les du votre.


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