Le weekend dernier, une cliente qui m'impressionne par son changement de posture et les conséquences positives que cela a sur sa collaboration (et son bien être) m'a adressé ce message :
Entre-nous, la rapidité de l'évolution de sa situation me laisse sans voix [et vous savez comme je suis bavarde]. Je sais que ma formation est pertinente et que l'accompagnement est qualitatif, mais quand même. Cela me questionne donc énormément sur cette disposition, au niveau individuel, au changement. Je vais faire un détour qui risque de vous rappeler vos cours de RGO et j'espère donc que, comme Nadia Bouria, c'est une matière qui vous éblouit.
Il se trouve qu'en ce moment je travaille sur la notion de contrat psychologique. Cette notion relève du champ disciplinaire du comportement organisationnel, qui étudie les processus comportementaux qui impliquent des individus, des groupes sociaux et des organisations. Il s'agit de comprendre comment l'individu et l'organisation dans laquelle il travaille peuvent se développer mutuellement.
Il existe plusieurs définitions d'un contrat psychologique. Je vous épargne les débats doctrinaux et vous proposerai celle-ci : "La notion de contrat psychologique suppose que l'individu a une série d'attentes envers l'organisation et que l'organisation a une série d'attentes envers lui. Ces attentes ne sont pas seulement relatives à la quantité de travail qui doit être fournie par rapport au salaire octroyé, mais incluent également un ensemble de droits, de privilèges et d'obligations entre le travailleur et l'organisation. De telles attentes ne sont écrites dans aucun contrat formel entre l'employé et l'organisation, mais elles agissent pourtant comme de puissants déterminants du comportement."
Ces fameuses attentes mutuelles, non formalisées, il se trouve que la majorité du temps les parties n'en ont même pas conscience. Je mets ma main à couper que votre connaissance de vos propres attentes envers votre cabinet et de ce que votre cabinet attend de vous est toute relative [oui, c'est bien de vous que je parle] [et oui ça marche aussi dans la sphère personnelle, par exemple LE COUPLE, mais je m'abstiendrai de tout développement en la matière].
Cette part écrasante d'ignorance des termes du contrat psychologique pose la question de la formation de ce dernier. Et là, ça devient vraiment passionnant !
Pourquoi tant de passion ? Parce que comme pour absolument tout sujet, chaque individu possède un schéma [soit un modèle mental qui s'est développé (et continue de se développer) progressivement à partir de l'expérience et qui guide la manière dont une nouvelle information est assimilée] concernant la relation d'emploi, que nous appellerons "schéma contractuel". Cela signifie qu'en pratique, avant même d'intégrer un cabinet, vous avez une idée de ce que vous devriez donner et recevoir en échange. Vous avez un contrat type.
Il y a quand même deux phases durant lesquelles votre schéma contractuel est encore mou et ouvert aux modifications. Disons que votre contrat type est un document Word. Ces phases sont :
- la phase de socialisation anticipée : toute votre relation avec une organisation avant que vous ne soyez en contact direct avec elle (quand vous écoutez l'interview de Jean-Benoît Lhomme, vous êtes en phase de socialisation anticipée avec lui et avec son cabinet LHJ avocats) ; et
- la phase de socialisation : le moment de votre arrivée dans l'organisation.
À ce stade, comme vous ne savez pas grand chose sur le cabinet que vous venez de rejoindre (ou toute organisation), vous êtes motivés à rechercher de l'information pour compléter toutes vos zones d'ignorance sur lui. Donc vous êtes proactif et réceptif et apte à remplir les blancs dans le contrat type et à modifier la rédaction des clauses.
Mais assez rapidement vient un moment où votre cerveau paresseux estime que ce contrat est suffisamment complet et précis. Il accepte alors toutes les modifications et les commentaires, exporte le contrat en PDF (et il met le document Word à la poubelle au passage parce que ce dernier prend de la place).
Et vous savez comme moi que c'est une plaie de modifier un PDF.
Le contrat est soudainement devenu très résistant au changement parce que les individus sont à la recherche de cohérence interne. Votre objectif est devenu d'éviter l'inconfort psychologique lié au fait de modifier le PDF. Vous accorderez donc une attention plus importante aux informations qui coïncident avec le contenu de votre PDF, vous manipulerez les nouvelles informations perçues pour qu'elles collent avec le contenu de votre PDF. Tout pour ne surtout pas modifier le PDF.
Dans ce contexte, des chercheurs en sciences sociales s'interrogent sur l'existence de facteurs qui influenceraient la possibilité de réviser le contrat psychologique alors même qu'il est sous format PDF, et la conclusion de cette partie dans la revue de littérature scientifique que je suis en train d'étudier est :
[SUSPENS]
"les recherches portant sur la malléabilité du contrat psychologique sont rares et le principal centre d'intérêt des quelques études en la matière a trait aux influences situationnelles sur la formation du contrat psychologique, négligeant ainsi les facteurs dispositionnels"*.
Autrement dit : on ne sait pas.
Je ne sais donc pas ce qui fait que ma cliente, après un an et demi d'une collaboration qui ne se passait pas bien, a consenti à mobiliser l'énergie incommensurable requise pour retrouver le document Word de son contrat psychologique avec son cabinet et en reprendre la rédaction. C'est terriblement frustrant, mais c'est comme ça.
Finalement, ce qu'offre une formation (ou un coaching), n'est rien d'autre que les éléments conceptuels, le prétexte, le cadre et l'espace pour être à même de réviser son contrat psychologique avec son cabinet et/ou avec sa robe dans de bonnes conditions.
*Comportement organisationnel - 1, Nathalie Delobbe