Le choix du coeur ne suffira pas (toujours) : identifier les ressources immédiatement disponibles et capitaliser sur l'avenir.

J'ai discuté avec une avocate qui exerce en indépendant et qui, du fait d'un changement dans sa vie privée, se retrouve à devoir assurer la stabilité des revenus de son foyer.

Dans ce contexte, sa tête balance entre devenir juriste en entreprise et au contraire faire tapis avec son cabinet. Faire tapis, y aller all in, bref faire ce qu'il faut (à commencer par les investissements en réflexion stratégique, communication et optimisation technologique) pour que son cabinet ne se contente pas de vivoter et décolle.

Face à cette décision à prendre, elle me parle de son cœur qui tend vers la poursuite de son cabinet. Je sens qu'elle culpabilise bien comme il faut parce que c'est l'option de l'entrepreneuriat et donc du risque en comparaison avec la sécurité de l'emploi, alors qu'elle doit assurer financièrement parlant en ce moment.

Le cœur, c'est important [et il ne faut pas sous-estimer la difficulté d'exprimer son désir], notamment parce que la volonté est réputée mettre en mouvement, donner des ailes. "Quand on veut, on peut", dit le proverbe.

Je pense néanmoins que la question du cœur est à conjuguer avec celle du pouvoir immédiat.

En ce sens, je rejoins la philosophe Marie Robert (Philosophy is sexy) qui écrit : "Loin de restreindre notre part de liberté ou de nier les vertus de l'effort, ne faut-il pas tout de même questionner cette fameuse "volonté" ? [...] Peut-être est-il plus juste d'affirmer que "quand on peut, on veut" et que l'enjeu réside plutôt dans l'agrandissement de nos possibilités".

Que peut-on faire, en l'état, aujourd'hui, à partir de qui on est, des ressources dont on dispose, des contraintes qui pèsent sur nous, de l'environnement dans lequel on évolue ? Il s'agit ici de quitter l'univers paillettes et licornes des punchlines inspirantes qui pullulent sur Instagram et Pinterest pour rentrer dans l'observation de la [potentiellement] dure réalité.

J'aimerais pourtant que vous voyiez à quel point le pragmatisme est séduisant lui aussi et il se trouve qu'il bénéficie d'une formidable ambassadrice, j'ai nommé Maître Anne Lapierre dont j'ai diffusé l'interview jeudi dernier.

J'ai fait l'éloge de ce pragmatisme stratégique dans un post LinkedIn qui a fait un flop monumentale [avec notamment bien moins de vues que vous n'êtes d'abonnés à cette newsletter] et je me permets donc de recycler :

Anne Lapierre était une jeune avocate de 30 ans, collaboratrice dans une équipe intervenant dans le secteur de l'énergie au sein d'un cabinet anglo-saxon. À l'époque, l'énergie, c'est l'énergie fossile. Le gaz et le pétrole. L'Afrique et le Moyen-Orient. Un monde d'hommes, des avocats déjà bien installés dans le secteur et ayant donc une bien meilleure connaissance tant du droit que des pratiques du marché.

Là, vous pouvez constater que si le cœur d'Anne lui dit qu'elle doit devenir une experte incontournable du financement de projets pétroliers, côté possibilités elle part de loin. Il va vraiment falloir qu'elle travaille beaucoup, ça risque de prendre une éternité parce qu'il faut que les mecs bien installés partent à la retraite et aussi que la culture locale des pays dans lesquels les projets pétroliers se font change de telle façon qu'il soit envisageable de prendre une femme au sérieux.

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[Avez-vous entendu parler de la Saint Glinglin ?]

Comme en témoigne le succès du Womanizer on n'est jamais mieux servie que par soi-même. Or, il se trouve qu'une nouvelle loi a fait son apparition dans le paysage : la loi sur les énergies renouvelables. Un domaine nouveau, dans lequel donc il n'y a pas encore d'expert, où le fait d'être une femme n'est pas [autant] un handicap parce qu'autant le pétrole en France est rare, autant on peut mettre des éoliennes dans le Nord-Pas-de-Calais. Bref, soudainement elle a bien plus de possibilités parce qu'elle peut compter sur des ressources existantes (à commencer par ses compétences en droit qui lui permettent de se saisir du texte de loi) et est confrontée à moins de contraintes. Elle n'a qu'à faire ce nouveau marché [appréciez le "elle n'a qu'à"].

Voyez comme une fine analyse de vos possibilités peut vous encourager à vous engager dans une voie plutôt que dans une autre*.

Alors, je n'en suis pas au stade de vous encourager à ne faire des choix que par opportunisme parce que tout ceci est un peu aride et que vous commencez à me connaître, je suis quand même romantique [j'ai failli vous parler de lubrifiant mais je m'en tiendrai au romantisme]. Il n'empêche que cette réflexion sur ses possibilités me semble tout aussi importante à mener pour avancer dans sa vie professionnelle et il se trouve que j'observe que mes clientes, faute d'avoir effectué cette analyse [avant de m'avoir rencontrée bien sur], sous-estiment complètement leur pouvoir d'action, qu'elles n'ont pas conscience de toutes les ressources dont elles disposent déjà pour réaliser leurs projets.

Revenons-en à notre avocate en plein questionnement. Entrepreneuriat ou salariat ? Le cœur a parlé, qu'en est-il de ses possibilités ?

Le choix du cœur est plutôt associé au domaine de l'irrationnel et du sentimental. Je l'ai donc aussi amenée à réfléchir sur un plan plus stratégique et d'opportunité, et donc à toutes les ressources acquises sur lesquelles elle peut d'ores et déjà capitaliser pour booster le développement de son cabinet.

Au bas mot, on trouve :

  • une base de clientèle existante et satisfaite sur les services qu'elle propose et souhaite développer (et donc le bouche à oreille qui fonctionne, les recommandations qu'elle peut provoquer, les avis clients qu'elle peut demander pour utiliser sur ses supports de communication, etc.) ;
  • une connaissance très pointue des besoins des clients qu'elle sert et veut servir (une ressources dérivée du fait d'avoir déjà une base de clientèle : plus vous travaillez avec des clients, plus vous gagnez en pertinence car mieux vous comprenez leurs besoins et donc mieux vous savez comment y répondre et aussi comment communiquer auprès des futurs clients pour qu'ils se reconnaissent dans ce que vous leur proposez) ;
  • un réseau qualifié constitué (au delà de ses clients existants, elle a un rôle associatif qui lui donne un accès rare aux clients qu'elle veut servir de façon extrêmement qualifiée - littéralement tous les membres de cette association correspondent au profil de son client idéal et ont besoin de ses services) ;
  • les compétences techniques juridiques sur à la louche 75% des services qu'elle veut offrir (son activité recouvre deux champs de compétences ; elle est au taquet sur l'une des deux et estime devoir monter une compétence sur la deuxième, et elle a ce qu'il faut pour le faire à savoir la documentation et le réseau en support donc ce n'est pas un point bloquant - je le souligne parce que plusieurs de mes clientes en formation souhaitent développer leur clientèle dans un domaine qui n'est pas leur domaine de spécialité actuel et la question de la légitimité ainsi que celle de la montée en compétence sont des sujets qui les préoccupent et freinent leur développement ; par exemple à une avocate qui fait du droit du travail et aimerait développer une clientèle en droit du dommage corporel*). C'est comme si son cabinet était un jeune cerisier ayant déjà commencé à produire des cerises. S'il y a plein de choses possibles pour améliorer sa production de cerises et sa rentabilité (faire en sorte qu'il produise plus de cerises en travaillant autant voire moins par un changement de méthode de culture, de taille, de cueillette, de conservation des cerises, etc.), il n'empêche que ce cerisier produit d'ores et déjà des cerises et qu'elles sont savoureuses.

Le fait de miser sur ce cerisier pour manger des cerises à court terme, et beaucoup de cerises à la prochaine saison n'est pas un pari trop risqué. Perso je pense que cette avocate va sans trop attendre se gaver de cerises.

Je n'aurais pas nécessairement fait le même diagnostic si le choix avait été de trouver un poste de salariée ou de se lancer de zéro, c'est à dire planter maintenant ses premiers noyaux de cerises (parce qu'après il faut les arroser, attendre que l'un de ces noyaux devienne une pousse, puis 3 ans avant que cette pousse donne sa première production de cerises...).

Peut-être que ce n'est pas encore possible pour vous de cueillir des cerises de votre cerisier, parce que vous n'avez pas encore de cerisier en âge de produire. Cela ne veut pas dire que vous ne pouvez rien faire pour autant, et j'ai à ce propos un exemple tout droit sorti du four pour vous inspirer si vous partez de zéro : Christophe Puech.

Christophe Puech s'est installé immédiatement après sa prestation de serment, sans cerises ni cerisiers. Mais un agriculteur chez qui il a travaillé lui a demandé de faire la cueillette d'un de ses cerisiersIl s'est aussi promené dans des champs où il a cueilli des cerises sauvages. Il a planté les noyaux de ces cerises sauvages, les a cultivés, et aujourd'hui il a ses propres cerisiers et ses cerisiers produisent des cerises [Je vous sens un peu écœurés des cerises.]

[PARLONS DONC D'ABRICOTS !]

[Je rigole]. Vous avez compris le message : vous disposez nécessairement de ressources immédiatement disponibles qui vous permettent de faire des choses. Tout le monde en a. Identifiez-lesQue vous permettent-elles de faire ?

Pour prendre de la graine de Christophe Puech, c'est par ici . 

* Si vous avez écouté Vincent Fillola, Pierre-François Rousseau, Rosiane Houngbo ou encore Olivia Symniacos, vous savez que c'est possible de diversifier votre activité en vous formant par vous-même.


"Merci pour cette newsletter toujours aussi passionnante, stimulante et qui donne envie d’avancer avec toi”
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