Le fantasme du mentor : qu'attendez-vous vraiment d'un mentor ?

Vous êtes nombreuses et nombreux à avoir été inspirés par Christophe Puech, ce qui traduit bien les désirs d'indépendance qui frémissent sous vos peaux.

Je vais vous parler de mentorat. Ou plutôt du fantasme du mentor, et vous allez vite comprendre quel est le lien avec vos envies d'indépendance. 

Interrogeons nous d'abord sur ce qu'est un mentor, mais puisqu'il s'agit ici de réfléchir sur le fantasme, ne partons pas du dictionnaire mais bien de nos rêves inavouables.

L. me dit que "La figure du mentor serait pour moi l'image bienveillante d'un ainé, prêt et disponible pour répondre à nos différentes questions en tant que jeune avocat", qui viendrait combler "un besoin de transmission de compétences et d'écoute".

Pour O., il s'agit d'une personne qui peut vérifier que ses analyses et ses recommandations sont correctes et pertinentes. Une personne qui s'assure qu'elle ne fait pas n'importe quoi.

Moi aussi j'ai eu ce fantasme. Personnellement, je voyais le mentor comme un patron qui me prend sous son aile et m'élève professionnellement en m'apprenant tout ce que je dois savoir pour être une bonne avocate et en étant derrière-moi pour me rattraper en cas de besoin alors que je relève de nouveaux défis [et oui, le mentor était un homme, et ce n'est pas le sujet de cette lettre mais LA SOCIÉTÉ PATRIARCALE QUOI].

Mais voilà, le mentor ne s'est pas présenté à moi, à moins qu'il se soit présenté et que je ne l'ai pas reconnu, ou qu'il se soit présenté, que je l'ai reconnu et que je n'en ai pas voulu comme mentor [toute comparaison avec la vie amoureuse est pertinente].

Par exemple, ce patron gentil et bienveillant, qui me faisait confiance et m'ouvrait des opportunités, mais qui était tellement, tellement paternaliste.

Là nous touchons du doigt un premier problème sur lequel je ne m'appesantirai pas qui est celui de la contradiction, parce qu'en pratique, un homme plus expérimenté qui nous apprend la vie c'est juste insupportable. Nous, jeunes femmes fortes et indépendantes, rêvons d'un mentor tout en brandissant nos #payetonmansplaining. Comme pour tout fantasme donc, se pose la question de savoir si on a vraiment envie de le réaliser [faites moi le plaisir de faire le parallèle avec vos pensées les plus inavouables] [je vous vois sourire].

Mais si l'on sort du terrain politique pour revenir à du concret, le vrai problème avec cette histoire de fantasme de mentor, c'est qu'il agit comme une fucking obligation conditionnelle. Pour mémoire, et pour nos lecteurs non juristes, l'article 1304 du Code civil dispose : "L'obligation est conditionnelle lorsqu'elle dépend d'un événement futur et incertain." Vous avez bien lu, le mentor devient cet évènement futur et incertain qui conditionne la réalisation de nos envies et de nos projets.

"Je donne beaucoup de valeur au fait de pouvoir travailler avec une personne plus expérimentée. C'est un vrai frein." me partage O., cliente de la formation Développer sa clientèle. Si c'est un tel frein, c'est parce qu'il est à l'origine de doutes quant à son choix récent d'indépendance et d'un investissement moindre dans ses actions de développement car elle a peur de ne pas être à la hauteur des dossiers qui lui seront confiés.

L., vient de quitter sa collaboration et me dit qu'elle a envie de se lancer à son compte "mais alors avec un mentor, qu'il faut encore trouver". C'est l'expression même d'une obligation conditionnelle.

Je viens d'écrire "fantasme du moteur" au lieu de "fantasme du mentor", et ce lapsus me sert de transition parfaite.

[Vous avez bien reconnu George dans Erin Brockovich, un de mes films cultes
de préadolescence, et je ne résiste pas à la tentation de vous remettre une photo
juste pour le kiffe]

Mais je m'égare. Revenons-en à notre fantasme moteur.

Je vous propose de partir d'abord du moteur en mécanique, qui est défini comme étant un appareil "servant à transformer une énergie quelconque en énergie mécanique"*.

Mais vous savez comme moi que le moteur n'est qu'une pièce parmi d'autres d'un mécanisme à moteur. Rappelons donc qu'un mécanisme est une "[combinaison] de pièces, d'organes, agencés en vue d'un mouvement, d'un fonctionnement d'ensemble"*.

Pour reprendre l'exemple de George, une moto est un mécanisme qui a pour but de transporter une à deux personnes d'un point A à un point B [avec options vrombissement, cuir, tatouages et cheveux au vent]. Le moteur seul ne fait pas la moto [il faut les roues, le guidon, George etc.], mais le moteur a une fonctionnalité bien précise dans le mécanisme de notre moto [créer de l'énergie mécanique] qui permet à cette dernière de remplir sa fonction [transporter une à deux personnes d'un point A à un point B avec vrombissement, cuir, tatouages et cheveux au vent]. Et il en est ainsi de chaque pièce qui compose notre moto.

Le fait est qu'on se fiche un peu du nom de chaque pièce, l'important c'est sa fonctionnalité : à quoi elle sert, en quoi est-ce qu'elle permet à la moto de rouler. Mettons que le moteur X n'est plus disponible, peut-être qu'un autre moteur Y sera tout aussi efficace pour créer de l'énergie mécanique et permettre à la moto de rouler d'un point A à un point B.

C'est la raison pour laquelle des voitures américaines des années 50 continuent de rouler à Cuba malgré près de 40 ans d'embargo empêchant l'importation de pièces détachées : les garagistes cubains ont eu l'ingéniosité de remplacer les pièces originales hors d'usage par d'autres pièces remplissant la même fonctionnalité (autre marque, voire autre objet).

Maintenant que vous visualisez la moto, chacune des pièces qui la compose et en particulier George le moteur, imaginez que vous êtes une moto. Une Harley-Davidson rutilante genre 

Comme avocat, votre mécanisme vise à défendre les intérêts de vos clients. Pour y arriver, vous avez besoin de plein de pièces différentes, chacune avec une ou plusieurs fonctionnalités.

Identifier les fonctionnalités dont vous avez besoin pour être une Harley-Davidson du droit qui roule et rutile est essentiel car comme nous l'avons vu, on se fiche de la tronche de la pièce tant qu'elle remplit sa fonction [ok, sauf pour George].

Revenons-en à notre mentor puisque c'est quand même de cela qu'il s'agit initialement. L. [l'avocate dont je vous parlais] attend d'un mentor qu'il vienne combler "un besoin de transmission de compétences et d'écoute".

En réalité L. n'a pas besoin d'un mentor. Elle a besoin 1) d'une pièce qui lui transmette des compétences, et 2) d'une pièce qui l'écouteUn mentor peut remplir ces fonctions, mais d'autres pièces peuvent le faire aussi : formations, coachs, psychologues, confrères, réseau, etc.

Le plus probable est d'ailleurs que L. ait besoin de plusieurs pièces différentes car pour être une avocate rutilante, elle a autant besoin de savoir vendre une action en responsabilité que de savoir introduire une action en responsabilité. Or la pièce qui transmet des compétences en marketing n'est probablement pas la même que celle qui transmet des compétences en procédure civile. Il n'est donc pas question d'un mentor au singulier, mais de mentors au pluriel.

En comprenant cela, votre fantasme de mentor se transforme en moteur entendu dans son sens figuré : "Ce qui incite, ce qui pousse à agir"* ; "Force qui détermine le mouvement"*.

Si vous n'avez pas le plaisir d'avoir un mentor, ou si votre mentor ne peut pas répondre à tous vos besoins pour bien grandir, vous pouvez toujours identifier la ou les fonctionnalités qui vous manquent et aller les trouver ailleurs.

*définitions du CNRTL 



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