Le conflit est une danse à deux : comment rééquilibrer la relation de collaboration ?

De nombreux témoignages de collaboration malheureuses ont été publiés sur Twitter [et quelques uns de collaborations réussies aussi, heureusement]*.

Des histoires de harcèlement moral en bonne et due forme. Des ambiances malaisantes. Des marques de manque crasse de considération pour son collaborateur.

Des récits à la lecture desquels je ressens de la colère, évidemment. Je meurs d'envie que les avocats qui se comportent comme cela avec leurs collaborateurs soient sanctionnés ainsi que les cabinets qui ferment les yeux, laissent faire, voire encouragent de telles pratiques au sein de leurs murs.

J'aimerais que les premiers concernés saisissent les référents collaboration, que les outils juridiques disponibles soient utilisés (commission disciplinaire, procédures pénales, etc.), que des sanctions soient prises. Je sais qu'il y a le sujet de la peur de ne jamais retrouver de collaboration derrière, d'être blacklisté, de trainer une mauvaise réputation, de s'exposer à beaucoup de vulnérabilité pour des sanctions insatisfaisantes et une absence de réparation (coucou les dommages et intérêts). Les ordres ont une marge d'amélioration gigantesque pour établir la confiance en leur utilité comme institution de régulation et de protection de tous ses membres.

Mais j'aimerais aussi que les personnes qui ont l'impression d'évoluer dans un environnement professionnel hostile et qui blâment un mauvais management s'interrogent sur leur posture et sur leur prisme de lecture des évènements... parce que le conflit est une danse à deux. Cela je l'ai vraiment compris à la lecture de l'excellent petit livre Que faire des cons pour ne pas en rester un soi même de Maxime Rovere.

Tel patron n'est pas un con dans le vide, il est un con dans une relation donnée, envers une personne qui va en retour adopter une certaine attitude qui peut alimenter le conflit, ou au contraire le désamorcer. Et il arrive que les personnes qui ont l'impression d'évoluer dans un environnement professionnel hostile alimentent inconsciemment le conflit plus qu'elles ne le désamorcent.

C'est quelque chose que j'ai évoqué dans le cadre de certains échanges avec des invités du podcast, mais j'ai été cette collaboratrice en colère contre des situations que je considérais être du mauvais management, à des degrés plus ou moins graves. Sommes toute, peu nombreuses sont les situations dans lesquelles j'ai réagi de façon constructive, et je vois très bien comment est-ce que j'ai à mon tour contribué à empirer une situation en me crispant, en me recroquevillant sur mes principes et mon prisme d'analyse et mon sentiment d'être une victime. Et plus cela allait, plus j'interprétais le moindre geste ou parole comme une marque de malveillance à mon égard, me renfermant toujours plus sur mon petit monde mis à mal.

Figurez-vous que cela correspond à un biais cognitif connu qui s'appelle le biais d'attribution hostile. L'être humain a tendance a interpréter le comportement des autres comme relevant d'une intention hostile, même lorsque ce comportement est ambiguë ou même anodin.

Pour revenir sur la danse à deux et la relation de conflit, je crois bien que c'est Julie Couturier qui évoque dans son interview qu'en étant à la Commission disciplinaire, elle a pu constater à quel point les conflits collaborateur / patron sont rarement des conflits de blanche colombe contre un grand méchant loup.

D'ailleurs, comme avocat, c'est quelque chose auquel vous êtes confronté en permanence. Avant même le débat sur le droit applicable, au simple stade de l'exposé des faits, vous voyez à quel point très souvent la réalité est complexe et la vérité plutôt grise et floue que blanche ou noire. Le conflit, c'est cette poisse dans laquelle chaque partie se sent incomprise, où chacun a fait du mal souvent sans le savoir mais est très conscient de sa propre blessure et où plus le temps passe et plus les douleurs se figent et rendent difficile le retour à l'harmonie. À ce propos, j'écoutais l'excellente série des Pieds sur terre sur la séparation d'un couple, et ces choses insignifiantes qui ont pris une ampleur folle parce que chacun s'est renfermé sur sa position sont soudainement sous le feu des projecteurs. C'est à la fois ridicule et dramatique ; celles et ceux d'entre vous qui pratiquez le droit de la famille le savent mieux que personne, et cela fait entièrement partie de la pénibilité de votre métier.

S'agissant du débat avocat collaborateur / avocat patron, je lis partout qu'il faut "partir". Et oui, dans certaines situations, il faut partir. Il y a des exemples comme cela dans le podcast**. Mais dans d'autres situation, il existe des solutions alternatives pour réajuster les relations et les rendre fonctionnelles. Ce n'est pas simple ni facile car cela implique de changer (de regard, de comportement, de stratégie, de rapport de force), mais je pense sincèrement que de nombreuses situations pourraient être désamorcées par ce travail sur soi.

Je le pense parce que je vois aussi, à travers toutes ces interviews, comment ces avocats épanouis font quelque chose de constructif des situations qu'ils traversent. Comment ils font avec. J'ai bien écrit "avec" plutôt que "malgré", et ce n'est pas un hasard. L'interview de Caroline Diot est bluffante à cet égard. Je pense aussi à l'intelligence relationnelle de Loïc Padonou. Et bien d'autres exemples dans le podcast où la seule chose qui fait qu'une situation donnée n'est pas vue comme un abus, un obstacle, des conditions anormales de travail, c'est le regard porté par l'invité, sa capacité à y voir une opportunité, et sa posture pour rester acteur en toutes circonstances.

Personnellement, je vois l'impact bénéfique de cette réflexion et de ce changement de posture chez mes clients de la formation Kit de survie dans la profession d'avocat***. Il y a cette collaboratrice qui est arrivée en pleurs au premier atelier, en état de vulnérabilité dans son équipe, pleine de doutes. C'était bouleversant. Certaines des situations dans lesquelles elle s'est retrouvée auraient pu faire l'objet d'un tweet comme ceux publiés cette semaine. Et pourtant, en changeant son regard sur sa situation, elle a changé de posture et prend maintenant des initiatives qu'elle n'osait pas prendre avant. Forcément cela fait bouger les lignes, impacte en bien ses relations avec ses différents interlocuteurs. Elle regagne leur confiance et gagne confiance en elle au passage. Les perspectives s'éclaircissent. C'est juste top. C'est exactement pour cela que j'ai créé cette formation : pour transmettre ces outils de réflexion sur soi, d'analyse de ses possibilités, et accompagner dans l'action et dans le changement. C'est pour ça je pense que souvent mes clients m'ont dit qu'ils auraient aimé savoir ça dès la première année : ça change la vie d'avoir ces outils. Tout de suite, on n'est plus une victime. On peut reprendre le pouvoir progressivement.

Et même si l'on part, si l'on quitte une relation, réfléchir sur sa posture, c'est aussi éviter de recréer des conditions similaires dans un autre cabinet. Je me souviens d'une de mes premières clientes, qui en était à sa troisième collaboration en moins de 4 ans de barreau, qui voyait les mêmes problèmes se répéter encore et encore, et qui a pris conscience du rôle de son état d'esprit et de sa posture dans ces échecs successifs. Faites le parallèle avec votre vie amoureuse, vous trouverez surement des exemples parlant...

J'écris ces mots du bout des doigts parce que c'est un terrain glissant et sensible, et j'ai évidemment peur de mal m'exprimer sur cette dynamique victime / bourreau. Alors, je préfère préciser que le message que je veux faire passer n'est pas celui de questionner la tenue de la fille violée. Vraiment pas. De la même façon qu'aucune tenue ne justifie une agression sexuelle, rien de ce que vous faites ou êtes ne justifie qu'on vous crie dessus. En revanche, si on vous crie dessus, votre posture peut tout changer pour la suite de la relation.

C'est à cela que je fais référence, entre autres, quand je parle de "posture". N'attendez pas que cela vienne des autres. Soyez ce changement. Créez les conditions de ce changement. Vous pouvez. Vraiment.

*Vous pouvez en retrouver une bonne partie sous le hashtag #jesuispasseparuncab.
**Antoine Delacarte, Jennifer Halter, Sandra Azria, Rosiane Houngbo-Monteverde, Clotilde Lepetit...
*** Cette formation n'existe plus, mais il en existe 3 autres à votre disposition désormais !

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