Une de mes clientes m'a glissé les mots suivants :
"Ça m'a fait très bizarre de lire le mot cliente.
Même si je suis bien au courant de ce que c'est ton métier, et que nous payons une prestation, ce qui justifie l'emploi de ce terme, je n'ai jamais eu l'impression, jusqu'à présent, d'être une "cliente".
Je crois que c'est la toute la force de ton projet que d'avoir gommé la vision mercantile et de mettre l'humain et les objectifs poursuivis au-dessus de tout au point de faire oublier le rapport client/ prestataire, et pour cela merci !!"
Entre nous, j'ai dû relire plusieurs fois ce commentaire pour savoir quoi en penser, avec des doutes à trois niveaux.
1/ Était-ce un reproche ?
2/ Avais-je fait un faux pas en utilisant le mot "client" ? Le mot "client" est-il tabou ? Est-il sale ? Moins valorisant pour le "client" justement ? Et pour le prestataire par la même occasion ?
3/ Est-ce une bonne ou une mauvaise chose que l'aspect mercantile soit si discret dans mes relations avec mes clients ?
[Cet espace vide n'est pas un bogue mais bien un espace spatio-temporel
rien que pour votre réflexion à chaud sur ces questions.]
Ce qu'il en est de ma réflexion personnelle [puisque c'est la promesse de cet article que de ne pas vous planter là avec juste des nœuds au cerveau] :
1/ Était-ce un reproche ?
La relecture du troisième paragraphe m'invite à penser que non, qu'au contraire c'est plus l'occasion de valoriser la qualité de la relation que je tisse dans le cadre des formations.
Exit donc.
2/ Avais-je fait un faux pas en utilisant le mot "client" ? Le mot "client" est-il tabou ? Est-il sale ? Moins valorisant pour le "client" justement ? Et le "prestataire" ? Pour le "client" ou pour le "prestataire" ?
Il y a client et prestataire parce qu'il y a paiement contre prestation de services. Cette effraction de l'argent dans la relation changerait soudainement tout. Pourquoi ? Parce que cela oblige l'une et l'autre partie ? Que, du fait d'avoir acheté une prestation, notre rapport n'est pas strictement un rapport de complicité ? Que cela matérialise que nous avons mutuellement besoin l'un de l'autre ? Parce que j'ai besoin de gagner de l'argent pour vivre, et que mon client a besoin d'accompagnement pour un certain aspect de son développement professionnel ?
Moi je trouve ça chouette d'avoir des clients. Parce que je suis contente de gagner de l'argent, d'une part. Et aussi parce que ça veut dire que mon savoir et mon savoir-faire sont utiles. Et que des personnes qui en ressentent le besoin me choisissent moi [moi moi moi moi] parmi une myriade d'autres professionnels pour les accompagner dans leurs défis, donc je me sens valorisée [#egoboost].
Je suis à l'aise aussi avec le fait d'être cliente à mon tour (d'un coach, d'un webmaster, d'une experte-comptable, d'avocats, d'organismes de formation, de logiciels divers et variés, etc.).
Comme vous ne pouvez pas le lire, je vous l'écris : j'ai spontanément listé les prestataires de services qui m'entourent pour m'accompagner dans mon activité professionnelle, sans même penser à tous les autres professionnels dont je suis cliente. Le boulanger, Picard, le caviste, Super U [oui je sais que c'est un truc de l'ouest de la France mais le fait est qu'il y a un Super U en bas de chez moi], les cosmétiques, les fringues, les cafés, les bars et les restaurants [la meuf dans le déni], les institutions culturelles, le libraire, la fleuriste, l'esthéticienne, etc. [je me demande si l'ordre de citation correspond à l'ordre de priorité mais c'est un autre sujet]. Pour tous ces professionnels, qui sont des services supports eux aussi d'une certaine façon, je n'ai de prime abord même pas questionné si c'est OK ou pas d'être client. L'idée a jailli en relecture, à 22h18 comme toute gerbe de créativité digne de ce nom dans ma galaxie.
C'est donc bien qu'il y a un truc sur le type de prestation qui fait qu'on est à l'aise ou pas avec le fait d'être client... Probablement ces services dont on aimerait pouvoir se passer. Ceux qui soulignent ce qu'on perçoit comme une faiblesse, une incompétence fautive.
"Je devrais savoir faire mon site internet tout seul, c'est sûrement pas si compliqué."
"Je devrais gérer ma relation avec mon boss sans l'aide de personne, ma collègue y arrive, elle."
"Je sais faire mon boulot, je ne devrais pas avoir besoin de conseils pour développer ma clientèle."
Mais quand on y réfléchit, n'est-ce pas formidable d'avoir des pizzerias ? de ne pas avoir à faire ses propres pizzas ? [Ne vous méprenez-pas, moi aussi j'aime bien cuisiner et tester des nouvelles recettes et je pourrais carrément me chauffer un soir à cuisiner ma propre pizza, juste pour le fun. Mais en vrai, la pizzeria, c'est la vie - spéciale dédicace à Amore da Francesca].
Ne devrions-nous pas adopter la même attitude pour tous les trucs qui nous facilitent la vie ? Simplement trouver ça génial, et ne pas penser deux secondes que cette relation client / prestataire puisse être connotée négativement ?
La pizza sera meilleure que si je la fais moi ? Je n'ai pas le temps de cuisiner ma pizza ? Trop cool, il y a la pizzeria.
Je ne sais pas [communiquer sur les réseaux sociaux / négocier ma rétrocession d'honoraires / évaluer un dommage corporel / autre] ? J'irai plus vite si [je délègue / je me forme] ? TROP COOL. IL Y A DES CONSULTANTS ET/OU DES FORMATEURS.
Voyez l'idée ? [Je me permets d'insister parce qu'en vrai, vous êtes avocats, et vous avez des clients, et vous êtes plutôt dans la catégorie consultant que dans la catégorie pizzeria, en ce sens que les clients se passeraient bien d'avoir recours à vos services et que l'achat d'une prestation d'accompagnement par vous fait rarement l'objet d'une story Instagram contrairement à l'achat du calendrier de l'avent Dammann frères. Donc nous avons les mêmes galères.]
Face à cette potentielle gêne, reste donc mon client qui a un besoin d'accompagnement. Comment se sent-il face à son besoin ? Je n'ai aucune maîtrise là dessus. Tout ce que je peux faire, c'est proposer un cadre bienveillant, doux, rassurant, qui fait qu'il (ainsi que les futurs) ont confiance dans le fait que je ne les juge pas d'avoir ce besoin [outre le fait de les rassurer sur le fait que je réponds à leur besoin évidemment]. Personnellement, je pense que c'est ce que je fais.
Exit donc aussi me concernant. Enfin pas tout à fait, puisque cela nous amène au dernier point.
3/ Est-ce une bonne ou une mauvaise chose que l'aspect mercantile soit si discret dans mes relations avec mes clients ?
Le Larousse nous dit qu'est "mercantile" ce qui est "Animé par le seul appât du gain, du profit." Alors certes, je ne suis pas animée seulement pas l’appât du profit, mais disons-le, le profit c'est bien. Sans profit, pas d'activité pérenne. Donc je trouve sain que les uns et les autres ne soient pas dupes.
Face à cet effacement de l'aspect mercantile, je me suis donc demandé : suis-je trop sympa ? proche ? intime ? familière ? complice ? La relation est-elle trop horizontale ? Devrais-je m'affirmer plus, ou autrement ?
Quand on se rattache au lien juridique qui sous-tend une relation, c'est que ce n'est pas tip-top, que ce n'est pas conforme à ce qu'on attendait. Exemple : ce cheveu dans mon assiette n'était clairement pas attendu. Je demande une nouvelle assiette. Cela me semble inimaginable qu'on me le refuse parce que je suis le client et que donc c'est évident que j'ai le droit à une assiette sans ce cheveu dégoutant répugnant que je ne saurai voir.
Disons donc que la disparition de l'aspect mercantile avec cette cliente signifie plutôt que la relation est équilibrée, c'est à dire que mes clients reçoivent assez, et que je n'ai pas l'impression de trop donner. Il n'y a donc pas de crispation autour de la relation client / prestataire. Dans ces conditions, l'humain et les objectifs poursuivis au centre, ça me va très bien.
Exit donc aussi cette troisième prise de tête autour de la potentielle gêne sur cette qualification de "client" [passion qualification]. Tout ça pour ça me direz-vous ? Tout à fait. Ne me remerciez pas.