Prévenir plutôt que guérir : votre communication doit éduquer vos clients.

J'entends souvent les avocats se plaindre d'intervenir en mode pompier.

L'exemple typique ? La procédure de licenciement pleine d'irrégularités formelles attaquée aux Prud'hommes, avec un risque pour l'entreprise qui n'aurait pas existé si on vous avait appelé pour préparer la procédure ensemble.

Quelle que soit votre spécialité, vous avez tous en tête un dossier plombé par votre client avant même de vous saisir.

On pourrait cyniquement avancer que cela vous arrange car un contentieux vous rapporte plus de chiffre d'affaire qu'un acte de prévention, mais moi je sais que ce n'est pas la raison.

Je sais que vous n'êtes pas cette caricature de l'avocat véreux qui veut juste se remplir les poches grâce aux difficultés rencontrées par ses clients.

Je le sais car je vous parle, et je vous entends avoir des envies d'accompagner vos clients dans leurs projets et pas que dans leurs malheurs. Être frustrés des dossiers mal engagés. Voir être gagnés par un sentiment de manque de sens face à ces situations où vous bricolez du mieux qui n'est jamais du bien.

Mais que faites vous pour intervenir en prévention plutôt qu'en guérison ?

C'est une vraie question que je vous pose. Que faites-vous, vous personnellement, oui oui, vous qui me lisez, pour que les personnes qui pourraient bénéficier de votre accompagnement sachent que vous existez et que vous êtes la personne à appeler s'ils se retrouvent dans telle ou telle situation ?

Je vais donc vous raconter une histoire personnelle et j'espère qu'elle vous donnera des idées.

Si vous faites du droit de l'urbanisme, c'est cadeau [j'aime beaucoup le chocolat, et aussi les bouquets de fleurs, et Fleur d'avocat est domiciliée là où je vis].

Ceci est une petite maison vendéenne construite au début des années 50 par mes grands parents maternels.

Ils étaient professeurs au lycée [elle de biologie, lui d'anglais] et s'y installaient tous les étés.

Nous, les petits-enfants [et les copains - Alice], y avons passé de nombreuses semaines de vacances, avec les départs groupés au Club Mickey et à la voile [je détestais le Club Mickey, et je vous épargnerai mes exploits en voile], la pêche aux bigorneaux, les interminables ficelles tartinées de Nutella au petit-déjeuner [j'étais vachement plus partante], la micro fête foraine avec la pièce de 5 francs que papy sortait religieusement de son petit porte monnaie en cuir, mamie qui cherchait toujours sa moulinette [pour la purée], les jeux de société auxquels il manque la moitié des pièces.

Vous y êtes ?

Bref dans la continuité de notre terrain il y avait un terrain abandonné. C'était vraiment la jungle. Avec ma sœur on rêvait d'y mettre le cheval qu'on rêvait d'avoir.

Et puis mes grands-parents sont morts, les 10 petits-enfants ont grandi, la plupart ont fait plusieurs enfants, et on continue de s'y retrouver grâce à l'installation d'une tente dans le jardin pour loger du peuple, et forcément on s'est mis à fantasmer.

Et si ce terrain derrière était à nous ? Et si on construisait notre petit village gaulois ? On pourrait nettoyer toute cette végétation anarchique, planter de beaux pins et construire des cabanons en bois pour loger plus de cousins et de petits cousins.

[Je vous saoule peut-être avec tous ces détails mais en vrai je vous donne plein d'éléments de psychologie du client potentiel que nous sommes donc on se concentre et on prend des notes.]

Le truc était en mode on en parle et il ne se passe rien, et puis ma mère a fini par envoyer un e-mail au propriétaire pour dire que nous étions intéressés et il se trouve qu'ils vendaient et qu'un gros promoteur local s'était aussi positionné mais ils ont préféré nous vendre à nous parce que leurs parents entretenaient de bonnes relations avec mes grands-parents de leur vivant à tous mais bon dans ces conditions pas de négociation possible donc ça s'est cotisé de plusieurs côtés de la famille et en moins de temps qu'il n'en faut pour dire "ouf" le rêve est devenu réalité [sans cheval].

Là-dessus on se retrouve tous là-bas une semaine d'avril, on déblaye dans la joie à la perspective des projets de cabanon en bois à venir, je me prends de passion pour l'activité tronçonnage [avouez que vous mourrez d'envie de voir cette photo de moi tout sourire tronçonneuse à la main]. C'est la teuf.

On ne se presse pas, on identifie tranquillement la boîte d'archi pour les cabanons, on sélectionne le bon format, on commence à débattre de l'aménagement [lits simples ? lits doubles ? lits superposés ?] et de la déco.

Et en mai ma mère nous dit que l'installation du cabanon nous est refusée par la mairie à cause de l'OAP.

Maman se rend à la mairie pour demander des explications et le gars de la mairie lui explique vaguement cette histoire d'OAP et lui dit qu'elle peut faire un recours.

En toute logique pour une personne lambda, on ne comprend pas cette histoire d'OAP : d'où la commune adopte des règlementations qui concernent des terrains qui ne lui appartiennent pas ? Sérieusement ?

Donc maman fait un recours gracieux avec ses dix petits doigts, ma relecture [avec clause exonératoire de responsabilité parce que ce n'était pas ma spé et que je suis rouillée] et celle de mon cousin [qui a exercé bien plus longtemps que moi et faisait du droit de la construction - depuis j'ai appris que construction et urbanisme ne sont pas la même chose].

On ne consulte pas d'avocat. Honte à moi, je n'y ai même pas pensé tellement ce qu'elle me disait me paraissait logique.

Deux mois passent. Pas de nouvelles.

Début août elle part donc en délégation à la mairie et on lui réitère que niet, refus confirmé. L'OAP, le PLU, bref c'est "non".

Bon là je me réveille [enfin !]. Il est temps d'avoir un avis un peu éclairé sur la situation.

[Je garde l'histoire du choix de l'avocat pour une prochaine édition car cette lettre est déjà assez longue comme ça et j'ai encore des trucs à vous dire.]

Je vous préviens c'est le moment où cette lettre devient technique mais restez avec moi, ressentez ma douleur, parce que c'est dans cette douleur que se cache votre potentiel de développement de clientèle

Le fait est que quand nous avons acheté, une OAP était en cours de réflexion.

Pour les non-initiés sachez qu'une OAP est un document via lequel une commune projette l'aménagement du territoire pour l'avenir genre "ah tiens là on pourrait construire un lotissement, et ici on pourrait faire passer une piste piétonne et cyclable". Sachez aussi qu'en gros, la commune n'a pas besoin d'être propriétaire des terrains pour se faire kiffer.

L'OAP c'est sympa mais ça ne vaut pas grand chose tant que ce n'est pas intégré dans le PLU via une modification de ce dernier. Je précise au passage [puisque je vous sens soudainement passionnés par ce point de droit] que modifier un PLU ne se fait pas en un claquement de doigts. Il y a des enquêtes, des consultations des parties prenantes.

Par contre, une fois que l'OAP est intégrée dans le PLU [la seule réglementation qui compte], le propriétaire des terrains concernés par cette OAP est contraint par le truc. L'usus est atteint.

En l'espèce [ouf, je n'ai pas perdu tous mes réflexes], tout indique que notre demande d'installation de cabanon ne respectait pas le PLU qui a été adopté entre l'achat du terrain et ladite demande.

Oui moi aussi j'ai crié au dolmais non les vendeurs avaient effectivement parlé du PLU à ma mère au moment de l'achat, elle n'a juste pas creusé le sujet dans la hâte de passer devant le gros promoteur immobilier.

Là vous dites "oh mais Lilas Louise je n'ai pas signé pour un cours de droit administratif". Ah ! Je vous avais dit que dans cette douleur de l'ignorance git votre potentiel de développement !

Parce que OUI, la personne qui achète un terrain, qui n'y connaît rien, et pour qui tout ceci est lunaire, aussi incroyable que cela puisse paraître, cette personne VEUT votre cours de droit, et elle veut savoir en quoi consiste votre métier concrètement.

C'est juste qu'elle ne le sait pas. Vous devez le lui montrer, et le lui expliquer.

On peut tourner le truc dans tous les sens, se mettre sur le dos de la boite d'architectes qui aurait dû vérifier la faisabilité du projet, et même culpabiliser de ne pas nous être renseignés plus tôt sur cette histoire de PLU pour pouvoir déposer notre demande rapidos avant que la modification du PLU ne soit adoptée.

La vérité est que le citoyen lambda est à l'ouest.

D'ailleurs je dis citoyen lambda mais soyons honnêtes, nous sommes des citoyens lambdas éduqués ++, dont deux ex-avocats dans le lot qui n'ont pas soupçonné deux secondes qu'il pourrait être pas mal de vérifier le trucs avec un spécialiste.

Donc le citoyen lambda est encore plus à l'ouest que vous ne l'imaginez. Mais vraiment.

Éduquez le citoyen lambda et il vous identifiera comme la référence dans votre matière et donc c'est vous qu'il appellera en prévention peut-être, en secours sûrement. C'est aussi simple que ça.

À tous ceux qui font du droit de l'urbanisme ici, quelques idées pour votre communication :

Que vérifier avant d'acheter un terrain ? OAP, PLU, quésaco ? Que sont censés faire les architectes ? Et s'ils ne l'ont pas fait, que pouvez-vous faire ? Quelle différence entre tel et tel type d'installation ? Quand préférer une demande de permis de construire à une déclaration préalable ? Quelle stratégie préférer entre une demande pour plusieurs cabanons ou une demande par cabanon ? Vaut-il mieux contester la décision de refus ou faire une nouvelle demande en s'assurant qu'elle est bien conforme au PLU ? Quelles mentions ne pas oublier dans son recours amiable [encore mieux, un template !] ? Peut-on négocier un truc prévu dans une OAP intégrée dans un PLU ?

On veut du Père Castor aussi : des histoires tristes qui auraient pu être heureuses si on vous avait saisi, des histoires heureuses parce qu'on vous a saisi.

Soit littéralement, toutes les questions que je me suis posées ou que je me pose encore quand j'ai fini par prendre le truc en main [je vous parlais de psychologie tout à l'heure].

Communiquez intelligemment sur tous ces sujets et laissez la magie opérer.

J'espère qu'un jour, l'avocat avec qui nous avons choisi de travailler pourra publier un post sur l'histoire qui se finit bien d'une 2e demande préparée en coopération architecte / avocat, acceptée par la mairie, qui nous permet de continuer à nous réunir dans un endroit gorgé de souvenirs.


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